Retour sur les 10 jours blancs de madrid !

 

La sixième tempête de froid de la saison

A un nom peu commun dont nous nous souviendrons :

Filomena, en nous offrant ses tonnes de neige, 

Laisse Madrid, dans son filet blanc, prise au piège ! 

 

Premier jour - vendredi 8 janvier 2021

 

Ils l’annoncent pourtant depuis longtemps,

Mais personne ne veut vraiment y croire tant

Cela semble extraordinaire et hors contexte.

Mais c’est vrai que les flocons prétextent

Une pause pour s’installer ici depuis hier.

Ils accaparent notre attention entière.

Alors ce n’est pas la toute première fois

Qu’il neige à Madrid ; d’habitude, une fois

Apparues, les particules gelées disparaissent

Rapidement. C’est d’ailleurs tout un stress

Pour prendre quelques belles photos-clichés

De la dentelle blanche, sur le sol jonchée.

Mais aujourd’hui les chutes s’accélèrent ; 

Un lourd tapis blanc s’impose dans l`air.

Heureusement, c’est vendredi. Quelle chance !

Un dernier jour de vacances plein d’espérance !

Pas besoin d’aller au boulot demain…

Pas besoin d’aller à l’école demain…

Cela présage de bons moments insoucieux ;

On va pouvoir en prendre plein les yeux !

Déjà, ce soir, par la fenêtre, la vue du quartier

Eclairé par les lampadaires laisse entier

Le mystère de la nuit à venir et la pénombre,

Filtrée par ce voile blanc, est moins sombre.

Ça présage de jolis rêves au pays des esquimaux,

Pleins de décors fantaisistes et anormaux.

C’est vrai que certains sont encore coincés

Dans leur voiture et doivent la laisser,

Abandonnée, sur les routes impraticables.

Plusieurs automobilistes pètent un câble.

Même les secouristes ont du mal à se déplacer.

La ville accueille rarement une telle invitée.

Cependant, en regardant les flocons tomber,

Me vient une douce et secrète volonté :

Pourvu que la neige reste une éternité !

 

Deuxième jour - samedi 9 janvier

 

Oh que oui, on va pouvoir en profiter.

Dehors, c’est d’une véritable beauté !

Il a neigé toute la nuit, sans s’arrêter…

Environ soixante centimètres d’épaisseur…

Imaginez la mer de nuages qui effleure

Le hublot de l’avion flottant dans le ciel…

Eh bien, à l’extérieur, c’est démentiel :

Le même spectacle se présente, à la différence

Que là, on peut plonger dedans ; l’attirance

Est telle que tous, petits et grands, sautent.

La couche de poudreuse est suffisamment haute,

Pour apprécier la longueur inouïe de la chute

Et suffisamment ferme pour qu’en fin de culbute

L’atterrissage s’effectue en toute sécurité.

L’amusement, même puéril, est mille fois répété :

Dans la rue, sur la terrasse, dans le jardin… 

C’est une immense baignoire de mousse sans fin

Qui offre de magnifiques ploufs mémorables !

Mais, une fois couché dans la neige imparable,

Il faut se relever. Ce n’est pas facile.

L’effort nécessaire est loin d’être gracile,

Tout comme la lente démarche pour avancer !

Il faut lever bien haut les genoux enfoncés

Pour enjamber l’obstacle mouvant et spongieux…

Le mieux est encore, d’un mouvement élogieux,

De rouler en boule si la pente le permet !

Evidemment on n’est pas les seuls à s’animer

On est même très nombreux dans les rues.

De partout des cris de joie se ruent

Jusqu’à nos oreilles presque congelées !

Faire le tour du pâté barbouillé

De chantilly nous nous aura demandé

Autant d’efforts qu’une belle randonnée

Au pic d’Aneto ; mais cette ambiance

Est source de plaisir et de bienveillance.

L’abondance blanche multiplie les délices !

Mais en rentrant, un doute en moi s’immisce :

Pourvu que le velux tienne le coup ; 

Parce que je dors juste au-dessous !

 

Troisième jour : dimanche 10 janvier

 

Il ne neige plus ; le ciel est d’un bleu parfait.

Le contraste avec le gris clair d’hier nous fait

Voir notre environnement différemment.

Le blanc est encore plus blanc que blanc !

La quantité est encore plus palpable.

Il y en aura pour tous, c’est appréciable !

Les gens deviennent artistes en neige : 

On voit pousser des bonhommes de neige -

Certains avec masque, pandémie oblige -

Des igloos, même des ménines de prestige…

On est témoins aussi de scènes insolites :

Des skieurs avec des skis de fond ou de piste,

Un traîneau tiré par une meute des chiens filante,

Des batailles de boules de neige géantes

En plein centre-ville de la capitale… 

Les moindres pentes deviennent vitales

Pour les amateurs de luges de toutes sortes.

J’ai vu des tapis de gym servir d’escorte

À de jeunes enfants tirés par leur parent.

Les madrilènes vivent Filomena en s’aérant

Telle une grande bouffée d’air vivifiant.

Rien de tel qu’un verre en terrasse défiant

Les obstacles du sol et appréciant chaque heure,

Tous (table, chaise, serveur, consommateur)

Les pieds dans la poudreuse : le pied !

Par la neige, les couleurs sont réveillées.

Ainsi, les tags sont plus jolis que jamais !

Le blanc les met en valeur comme jamais !

En même temps, on découvre les dégâts causés

Par la tempête du siècle qui s’est imposée

A nous comme à la nature qui a pris cher.

Les arbres, pins ou feuillus, sont misère.

Non armés pour faire face à une telle colère

Climatique, ils ont énormément souffert.

Beaucoup ont perdu des branches, arrachées,

Certains sont même tombés, déracinés,

Dans les parcs, les rues, les jardins…

Dix pour cent du poumon vert citadin

Aurait été détruit. Il faudra du temps

Pour compenser des dégâts autant, 

Sans compter les animaux et leurs pertes…

En me baladant, les perruches vertes,

Sur ce lit blanc, semblent désorientées…  

Pourvu qu’elles arrivent à résister !

 

Quatrième jour : lundi 11 janvier

 

Il fait maintenant très froid… bon sang…

Jusqu’à moins neuf degrés cela descend

La nuit. Non seulement ça ne fond pas

Mais en plus ça durcit. C’est sympa !

Le manteau blanc semble bien décider

A durablement s’installer, sans céder

Devant le petit nombre d’engins occupés

A le déplacer. Madrid est peu équipée.

Elle fait appel aux communautés voisines

Pour obtenir des chasse-neiges qui cuisinent

Sans relâche sur les plus grandes routes.

Mais notre quartier est encore à la déroute,

Comme beaucoup d’autres. Aucune voiture,

Aucun transport en commun ne s’aventure !

Du coup, la rentrée scolaire est retardée.

C’est beaucoup plus sage question sécurité.

Pour autant, ce ne sont pas des vacances !

Les cours ont bien lieu, à distance.

Avec l’expérience du confinement Covid,

On est opérationnel sans temps vide…

Vive les vidéoconférences du confinement

Filomena ! Allez, on est prêt ; rapidement

La maison se transforme en salle de classe,

En bureau, en cantine… bien dégueulasse ;-)

L’avantage, c’est qu’on n’entend plus parler

Du Covid et de ses avancées. On l’a oublié !

Les enfants sont ravis ; à peine finis les cours,

C’est récré dans les rues transformées en cours

Puis balade dans le quartier pour s’oxygéner.

En sortant on n’a qu’un seul souhait :

Pourvu qu’il reste des espaces inexplorés
Qu’on puisse encore nos empreintes ancrer !

 

Cinquième jour : mardi 12 janvier

 

On se réveille ce matin… chouette surprise…

Sans eau dans les tuyaux ! L’hystérie, on frise !

Impossible de faire la douche salvatrice !

Ni vaisselle, ni chasse d’eau… Aucun caprice !

Ouf, il reste de l’eau pour le café stimulateur !

Vite, il faut trouver une source extérieure !! 

On contacte les voisins : ceux de droite en ont,

Mais ceux de gauche non, ceux d’en face non…

Quelle scène atypique se déroule sur le trottoir : 

On se retrouve tous armés d’un sèche-cheveux histoire

De réchauffer les entrées d’eau situées en façade.

C’est plus ou moins long selon le stade

De la gelée, et selon la puissance de l’outil.

Je ne dois pas avoir le plus puissant, sapristi !

Puis comme un trésor, on camoufle les drains

Avec de vieux vêtements pour qu’enfin

L’eau puisse rejaillir des robinets !

Flûte, on avait oublié qu’il déterminait

Tant notre quotidien ce fluide transparent !

Alors on a voulu être perspicaces et prévoyants :

Pourquoi ne pas faire notre eau avec la neige ?

Autant qu’elle nous serve celle qui nous piège !

On a fait chauffer deux bassines à ras bord

D’une neige fraîchement récoltée sur le bord

De notre terrasse ; on l’a fait un peu bouillir…

On a obtenu un saladier d’eau potable pour finir !

Autant dire que nos envies d’apprentis chimistes

Sont vite parties en vapeur… Pas très optimiste

Tout ça. On a préféré mettre des bouteilles

D’eau au frigo ; ça ira à merveille !

Ce problème vital réglé, on décide de profiter

De Filomena pour faire des affaires sans hésiter.

Les demandes en vêtements adaptés pullulent

Sur le site de vente d’occasion de bidules.

Les deux binômes de bottes de neige trop petits

Se vendent comme des petits pains, à prix petit !

D’ailleurs, en parlant de pain, les boulangers

N’en ont plus. Les rayons frais sont engorgés…

De vide. Autant dire que le choix est facile !

On ne va pas se ruiner, mais c’est difficile

Pour nous de vivre sans pain… Moins que sans eau…

On est d’accord ! Du coup on redevient maestro

En pain maison, comme dans l’autre confinement.

Les répétitions ont du bon : on est rapidement

Efficaces. Les gestes reviennent vite ! 

En cuisinant un petit doute s’invite :

Pourvu que les tuyaux tiennent le choc
Pour avoir de l’eau demain dans la bicoque !

 

Sixième jour : mercredi 13 janvier

 

Les services de la ville travaillent dur

Pour dégager les rues mais la procédure

Semble parfois curieuse… Ils entassent

Par exemple la neige sur les côtés en masse

De façon à emprisonner les voitures garées.

Alors certes les voitures peuvent passer

Mais celles stationnées restent bloquées.

Beaucoup de travailleurs partent à pied

Rejoindre les grands axes pour bénéficier

De la voiture d’un collègue sympathique

Qui habite sur une voie stratégique !

Il y a du mieux mais ce n’est pas le top ;

Si bien que le ministre a encore dit stop

A la réouverture des écoles. La rentrée

Est de nouveau repoussée de trois journées.

Décidément, depuis dix mois, on vit

De report en report ; on n’a plus envie

De faire de projets ! Le Carpe Diem

Est de rigueur ; quel drôle de système !

Dans la journée, soudain, on est paralysé !

On entend s’approcher un bruit motorisé.

Le silence des derniers jours est brisé !

Tous les voisins se précipitent à leur fenêtre,

Caméra à la main pour ne rien omettre.

Un spectacle inattendu commence :

Il s’agit d’un engin qui ressemble

À… Non… C’est un véhicule militaire !

Plus brut, plus simple, plus vert,

Il essaie de se frayer un passage

En dégageant la neige sans ramassage.

Oh la la, il a du mal à avancer.

À côté de ma voiture, il va passer…

Ou pas ! Il glisse, il dérape, il panique...

Il n’est qu’à quelques pas critiques

De ma voiture ensevelie, pas qu’à demi !

En le voyant manœuvrer, je frémis :

Pourvu que cette machine se sauve
En laissant ma voiture saine et sauve !

 

Septième jour : jeudi 14 janvier

 

Même si le chasse-neige est passé,

Une couche de verglas, il a laissé.

On ne peut pas prendre nos voitures.

On fait tout à pied, une chouette rupture

Bienvenue dans cette parenthèse sanitaire

Difficile pour beaucoup mais prioritaire.

Le ciel bleu et radieux continue d’apporter

De la luminosité et de la légèreté

A notre temps libre d’après travail. 

Grâce à cette ambiance, on est de taille

À explorer plus loin les rues blanchies.

Le temps est compté car les lieux défraîchis

Sont de plus en plus nombreux : le gris,

Voire le noir prennent le dessus à priori.

De plus en plus de pas, de traces, de saletés,

De moins en moins d’uniformité, de pureté…

Le blanc immaculé est éphémère, c’est évident !

Mais qui-cherche trouve encore en se baladant

Un petit coin de paradis blanc net et parfait

Niché entre deux voies passagères et rapides :

C’est comme un étang de lait pur et insipide

Entouré de pins en guise de protection !

On s’enfonce dedans avec toute l’attention

Qu’il se doit pour savourer toute l’action,

Pour apprécier à sa juste valeur ce moment.

J’oublie le bruit des moteurs tout près pourtant

Pour me concentrer sur le reste uniquement…
Pourvu que la magie opère encore longtemps.

 

Huitième jour : vendredi 15 janvier

 

Les camions de ramassage de poubelle

Eux non plus, ne font pas les rebelles

Et ne passent plus depuis le début

Dans nos quartiers; cela contribue

À lancer une nouvelle mode, à savoir :

Faire les plus beaux tas de quoi ?

De poubelles, pardi ! Elles s’entassent

Les unes sur les autres ; elles traînassent

Les unes à côté des autres ; elles dépassent

Les limites autorisées ; elles tracassent

Les piétons… Avec leurs sacs multicolores

Certaines piles frisent un certain folklore

Tant elles sont disposées de façon ordonnée,

Soignée, méticuleuse, voire recherchée…

Alors que d’autres sont carrément abandonnées,

Sans contenance, complètement éventrées.

On retrouve ces amas autour des conteneurs

Qui débordent, le long des demeures,

Au détour d’un coin et même au milieu

D’un carrefour créant ainsi un radieux

Rond-point ! Mais, on ne reste pas indifférents

Devant le volume inquiétant, même effarant,

Qu’elles représentent, ces vagabondes !

Pour l’instant, pas d’odeurs nauséabondes

En stockant dehors ces tas d’ordures ;
Grâce au froid ? Pourvu que cela dure !

 

Neuvième jour : samedi 16 janvier

 

Le premier constat du jour, c’est qu’il y a encore

Une stalactite de quarante centimètres dehors

Sur notre terrasse côté Nord ! C’est dire les gelées

Qu’il fait la nuit… Mais le jour est super ensoleillé

Et il est très agréable, une fois de plus, de parcourir

Les alentours. Nous décidons d’aller, sans courir,

Mais en adoptant une vitesse adaptée aux glissades,

Vers les arènes de Ventas. Monument à la façade

Style néo-mudéjar, la neige sublime ses couleurs.

Pour y arriver, on traverse plusieurs secteurs,

Et c’est avec admiration que nous voyons partout

Des scènes d’entraide, entre voisins surtout,

Qui déblayent ensemble leur sortie de garage,

Mais pas que : les commerçants, avec courage,

Balayent leur trottoir, les parents dégagent

L’envahisseur blanc de la cour des écoles…

Bien équipés, les employés de la ville se collent

Aux groupes et n’hésitent pas à aider les particuliers

De façon spontanée, sans jamais discutailler !

Ça travaille dans la bonne humeur et la rigolade.

Nous-mêmes poussons, lors de notre balade,

Des voitures coincées dans leur stationnement,

Et aidons une grand-mère, sans questionnement,

Qui, avec son petit balai rabougri, tente d’enlever

De ses gouttières encombrées, la neige entassée.  

Le long du trajet, c’est un concert inhabituel

De bruits de pioches, de grattoirs, de pelles…

Malgré tout, dans cette ambiance bon enfant,

Il faut se méfier, rester concentré et prudent :

Certains trottoirs restent luisants et glissants ;

Il y a des plaques de verglas de temps en temps.

D’ailleurs, on assiste, impuissants, à la tentative,

De monter d’un camion dans une rue chétive ;

Impossible d’arriver en haut, il galère,

Et doit redescendre en marche arrière !

En observant la scène, le trajet semble délicat ;
Pourvu qu’il puisse manœuvrer sans dégât !

 

Dixième jour : dimanche 17 janvier

 

Les voies sont, pour beaucoup, accessibles

Et les madrilènes font tout leur possible

Pour que tout soit opérationnel demain.

Ils semblent vouloir pour leurs gamins

Un retour à la normale… même Covid !

Une fois les écoles sécurisées, ils vident

La neige qui tapissait de blanc les terrains

De sports collectifs avec grand entrain !

Mais… tin-tin… et roulement de tambour :

Nouveau report de la rentrée pour deux jours !

Ce sera le dernier… On retourne à la Pinède.

Là c’est un parcours santé, parfois raide,

Qui nous attend tant il y a quantité

D’arbres couchés et de branches tombées.

Mais on arrive enfin, quel privilège,

A faire de nouveau un bain de neige !

Dix jours après les chutes, c’est inespéré !

Aujourd’hui, on n’aurait pas pu mieux rêver…

Quoique… il nous manque quelque chose :

Les parcs dont les portes sont closes

Depuis le début, question de sécurité !

Pour profiter de nouveau de leur tranquillité,

Comme une pause nature en les traversant,
Pourvu qu’ils rouvrent rapidement !

 

On a vécu ces quelques jours blancs

Comme un arrêt décalé hors du temps,

Comme une parenthèse, un accident

Dans notre quotidien, nous surprenant…

Toute cette blancheur nous manquera !

Mais peut-être qu’elle reviendra ?

Je viens de lire que le berger de Ségovie,

Pedro, avait prédit, en observant la vie

De la nature un autre épisode identique
« Filomena 2 » en 2022 : f-a-n-t-a-s-t-i-q-u-e !!